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L’église abbatiale d’Hauterive

D 7 janvier 2017     H 14:16     A Béatrice Louys     C 0 messages


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PLAN

 

Introduction

1ère partie : L’abbaye d’Hauterive

  • sa fondation

  • son histoire


2ème partie : L’église abbatiale d’Hauterive

  • promenade architecturale

  • inspiration et comparaisons


3ème partie : Le regard de Bernard de Clairvaux

  • sur le bâti

  • sur les décors

Conclusion

Bibliographie

Sitographie

Source

Annexes

  • 1. Plans
  • 2. Illustrations : élévations

 


Introduction

Dans l’histoire cistercienne, Hauterive ou Alta ripa se situe dans les temps les plus anciens, ceux de la fondation de l’ordre. Suivant la règle de saint Benoit, que respecte également l’abbaye de Cluny, les cisterciens souhaitent revenir à une observance plus stricte de la règle, une vie plus proche de celle des pionniers, les pères du désert, mode de vie monacal dont se seraient éloignés les moines de Cluny. C’est du moins ce que pensent les fondateurs de l’ordre, Robert de Molesmes et Etienne Harding, ainsi que Bernard (1090-1153), abbé de Clairvaux, abbaye-fille qu’il a fondée en 1115. Pour éviter des dérives, ils mettent en place un système beaucoup moins centralisé, avec un enchainement de créations d’abbayes, suivant toutes, sans exception, la règle de saint Benoit, mais complétée de règlements spécifiques. Le premier texte de ce type-là est la « Charte de charité et d’unanimité » [1] d’Etienne Harding, devenu troisième abbé de Cîteaux au moment de son écriture, en 1119. Les règlements intérieurs ou chartes seront suivis des statuts ou « Statuta », décidés lors des différentes réunions rassemblant les abbés, d’abord annuellement, puis tous les quatre ans, appelés « Chapitres Généraux ». Mais Bernard ne se contente pas de ces textes, il ajoute sa pierre à l’édifice en écrivant moultes traités et sermons, dont la célèbre « Apologie à Guillaume de Saint-Thierry » [2] en 1125, précédée de peu de « La lettre à Robert » [3].

Fondée du vivant de Bernard de Clairvaux et à la suite de ces différents écrits, l’abbaye d’Hauterive semble s’inscrire pleinement dans le fonctionnement de l’ordre cistercien, privilégiant la localisation de ses abbayes dans des endroits improbables, des marécages, des lieux vierges et à défricher (d’où le mythe du « moine défricheur »), bien qu’il n’y ait aucune règle écrite à ce sujet. Située à 7 km de Fribourg en Suisse, cette abbaye est installée dans un méandre de la rivière La Sarine. Une falaise érodée par les eaux constitue une protection quasi infranchissable vers le sud, ce qui explique le nom d’alta ripa, signifiant « haute rive » en latin.


L’édification de l’église abbatiale de l’abbaye d’Hauterive correspond-elle aux prescriptions édictées par Bernard de Clairvaux dans ses écrits ? Pour répondre à cette question, nous allons retracer auparavant l’histoire de l’abbaye d’Hauterive, puis présenter son église abbatiale, avant de vérifier si cette église répond bien aux indications émises par Bernard de Clairvaux.

 


1ère partie : L’abbaye d’Hauterive

En sachant que l’ordre cistercien est né en 1098 avec la fondation de l’abbaye de Cîteaux en Bourgogne du Nord et que les quatre abbayes-filles, La Ferté, Pontigny, Morimond et Clairvaux, ont été fondées entre 1113 et 1117, on peut en déduire que l’abbaye d’Hauterive fait partie des premiers temps de l’ordre. En effet, Guy, issu de Clairvaux, créera, avec 12 moines, une abbaye petite-fille à Cherlieu en 1131 en Haute-Saône (Jura français) et y deviendra abbé. Cherlieu, quant à elle, sera à l’origine de plusieurs monastères, comme l’abbaye de Haut-Crêt en Suisse en 1134, l’abbaye Notre-Dame d’Acey dans le Jura en 1136, et l’abbaye d’Hauterive, également en Suisse, en 1138. Comme ses soeurs, Hauterive peut donc être considérée comme une abbaye arrière-petite-fille de Cîteaux ou, en ce qui concerne sa situation particulière, abbaye-fille de Cherlieu, dans une explosion incroyable de création d’un réseau monastique.

1/ Sa fondation


C’est en 1138 qu’est fondée l’abbaye cistercienne d’Hauterive, grâce à un seigneur local, Guillaume de Glâne, qui fait don de la presque totalité de ses terres. Dernier fils de famille, Guillaume décide de cette fondation après l’assassinat de son père Pierre et de son frère Ulrich, à Payerne en 1127. Comme le veut la tradition au Moyen Âge, il entre dans le couvent qu’il a fondé et y vit comme frère convers, jusqu’à sa mort en 1143. Dans sa thèse de 1934, Romain Pittet [4]signale que, grâce au Liber donationum Alteripe, dont l’original a disparu, puis a été retrouvé en Angleterre, conservé à Marbourg et photographié, il a pu remonter aux origines du monastère. A l’époque intégré au Royaume de Bourgogne, lui-même incorporé à l’Empire Germanique, le territoire très morcelé de l’actuel canton de Fribourg se trouve sous la suzeraineté des ducs de Zaehringen. Le couvent d’Hauterive assiste à la naissance de la ville de Fribourg, vingt ans plus tard, vraisemblablement vers 1157. Le christianisme est développé dans cette région, qui dépend, à l’époque, de l’évêché de Lausanne, très favorable à l’installation de monastères. Bernard de Clairvaux se rend à Lausanne en 1135. On peut donc supputer de son influence en faveur de la création de monastères cisterciens dans la région, notamment celui d’Hauterive, sur le même schéma que les autres : douze moines venant de Cherlieu (chiffre minimal correspondant symboliquement aux douze apôtres) accompagnent Girard, qui devient le premier abbé du nouvel établissement. Selon Catherine Waeber-Antiglio, dans sa thèse de 1976 [5], la charte de fondation du 25 février 1138 serait une charte de confirmation, rédigée le jour de la consécration de la première église par l’évêque. Par conséquent, cette fondation s’étalerait entre 1131 (date de la fondation de Cherlieu, abbaye-mère) et 1138 (acte officiel de fondation, dans une notice de la « Biblia sacra »).

2/ Son histoire

Dès les origines, Hauterive reçoit d’importants dons, augmentés encore en 1182 quand l’évêque de Lausanne autorise les bourgeois de Fribourg à se faire enterrer à Hauterive. A la fin du XIIe siècle, Hauterive compte plus de 30 religieux. Cette prospérité permet, en 1185, la fondation de l’abbaye de Kappel, située dans l’actuel canton de Zurich, mais cette communauté se disperse en 1527, en raison de la Réforme. Cette bonne situation économique entraine aussi une importante activité de construction, dont la reconstruction du choeur de l’église et du cloître, au XIVe siècle. Cette période trouve son apogée, lorsque, le 23 juin 1418, l’abbé Pierre d’Affry reçoit du pape Martin V le droit de porter les insignes pontificaux (!). Mais, liée à la ville de Fribourg, l’abbaye subit aussi les conséquences des guerres, notamment les pillages des Bernois, en 1386 (guerre de Sempach) et en 1448 (guerre contre la Savoie). S’ensuit une situation financière difficile, aggravée encore par un incendie, en 1578. Grâce à une extrême fermeté, les abbés du XVIIe siècle redressent la situation. Au XVIIIe siècle, le monastère est complètement reconstruit et l’église rénovée.

A la suite de la guerre du Sonderbund, l’abbaye est supprimée par décret du Grand Conseil en 1848 et la communauté quitte Hauterive. Les bâtiments hébergent successivement l’École d’agriculture cantonale en 1850, puis l’École normale des instituteurs en 1857, période durant laquelle ils subissent un nouvel incendie, en 1884. D’où différentes campagnes de restauration entre 1884 et 1913, notamment celle, systématique, entre 1903 et 1913 des architectes Broillet [6] et Wullffleff !

Après une interruption de 91 ans, l’abbaye reprend vie en 1939, grâce à l’arrivée de moines autrichiens venus de l’abbaye de Wettingen-Mehrerau (Vorarlberg). Wettingen devient ainsi, indirectement, la nouvelle abbaye-mère d’Hauterive, huit cent un ans après la fondation de celle-ci par Cherlieu. Actuellement, l’abbaye compte une vingtaine de moines originaires de toute la Suisse ou de l’étranger, en sorte que les trois grandes cultures nationales s’y trouvent représentées. Le 14 septembre 2010, Dom Marc de Pothuau est élu abbé, succédant ainsi à Dom Mauro-Giuseppe Lepori, lui-même élu abbé général au siège de l’Ordre à Rome. C’est l’une des rares abbayes cisterciennes encore vivantes, sinon la seule, n’ayant jamais changé d’obédience, si l’on considère le temps de son abbatiat, donc cistercienne encore et toujours.

A l’instar de bien d’autres monastères, cette histoire explique le fait que peu de bâtiments soient d’origine, hormis l’église et certains vestiges préservés et remis au jour dans le cloître. C’est pourquoi, il semble évident que, si l’on veut étudier cet établissement monastique au Moyen Âge, il faut s’intéresser prioritairement à la construction de l’église abbatiale, dont l’édifice actuel est la seconde église, datant des années 1150-1160. De l’église primitive, qui n’a vécu qu’une vingtaine d’années, on ne sait presque rien.

 


2ème partie : L’église abbatiale d’Hauterive

1/ Promenade architecturale

L’église abbatiale d’Hauterive nous entraine dans une promenade architecturale dans le temps et l’espace. Même si la façade gothique date du XIIIe et le choeur du XIVe siècle, la quasi totalité de l’église est de conception romane, malgré quelques transformations au cours des siècles. Construite de tuf et de molasse, le chantier a progressé d’Est en Ouest selon un plan en croix latine (voir plan en Annexe 1) [7]. L’église orientée, présente trois nefs de cinq travées, dont celles de la nef principale sont prolongées par une croisée carrée et un choeur à deux travées, qui se termine par un chevet plat. Le transept peu saillant comporte, sur chacun de ses bras du côté Est, deux chapelles terminées par un mur droit, qui flanquent latéralement la travée occidentale du choeur. Longue de 49m, avec une nef de 15m de large et un transept de 22m de long, l’église est couverte, au niveau de la nef principale, d’une voûte longitudinale en berceau légèrement brisé et ce jusqu’à l’arc triomphal devant le choeur. Des berceaux transversaux viennent couvrir les bas-côtés et les bras du transept, contrairement aux quatre chapelles orientées couvertes elles aussi d’un berceau longitudinal. Seul le choeur gothique présente des voûtes en croisée d’ogives. Tous ces éléments architectoniques sont supportés par des piliers essentiellement cruciformes et épaulés par des contreforts extérieurs. L’élévation très simple à un seul niveau constitue un schéma pseudo-basilical, puisque la nef principale est uniquement éclairée par le biais des bas-côtés au travers de grandes arcades très hautes, avec arcs brisés à double rouleau.


L’absence de fenêtres hautes confère à l’ensemble une pénombre assez mystique, qui rend difficile la découverte des quelques fresques sur les murs latéraux et les piliers, ainsi que les sculptures des chapiteaux de la croisée, corinthiens pour deux d’entre eux et à feuilles pour les deux autres. On peut tout de même constater que ces éléments de décor restent sobres et d’une exécution simple, bien que soignée. De plus, les ouvertures existantes, qui sont, soit les portes habituelles dans une église cistercienne et le plus souvent closes (portes des convers et des moines côté Sud, porte des morts au Nord-Est), soit des fenêtres avec vitraux incolores, notamment dans les chapelles, ou vitraux colorés, principalement dans le choeur, préservent une luminosité propre à la prière. A noter aussi l’escalier de nuit, menant à la porte du dortoir, avec une magnifique rampe en trompe-l’oeil sur le mur Ouest du bras Sud du transept ! Ce qui parait le plus étonnant dans cette église, c’est l’aménagement intérieur du choeur liturgique, non pas au niveau de la répartition des lieux, qui est habituelle (moitié pour les moines / moitié pour les convers), mais en ce qui concerne le mobilier liturgique. Il s’y trouve de prestigieuses stalles en bois de chêne, datant de la fin du XVe siècle, avec trente-quatre dorsaux typologiques (représentations prophètes / apôtres).

2/ Inspiration et comparaisons

Après cette brève présentation de l’église abbatiale d’Hauterive, on peut maintenant voir son inspiration et faire quelques comparaisons. Dans sa thèse, Catherine Waeber-Antiglio [8] explique :

« Avec son chevet plat flanqué de chapelles latérales à terminaison droite, l’église d’Hauterive appartient à une catégorie d’églises cisterciennes, et parmi elles, Clairvaux, Fontenay et Bonmont, qui, semble-t’il, reflètent mieux que d’autres, par leur extrême simplicité, l’esprit cistercien. Influencée par l’église de Clairvaux II (1135-1145), puisque Cherlieu, abbaye-mère d’Hauterive est elle-même fille de Clairvaux, Hauterive s’apparente ainsi indirectement par son plan, à un groupe de cent trente églises dépendant de Clairvaux, bâties avant 1200. Une statistique a montré que parmi ces églises, les trois-quarts ont adopté le type de Clairvaux, dont Fontenay (consacré en 1147) représente aujourd’hui un exemple très parlant… Ce type de plan caractérisé par un chevet plat est aujourd’hui unanimement reconnu sous le nom de « plan bernardin ». Cette appellation est due à K.-H.Esser qui, après avoir découvert que le choeur et les chapelles latérales (3 par croisillon) de l’église d’Himmerod, fondée par Clairvaux en 1130 et consacrée en 1178, avaient comme celle-ci une terminaison droite, fut le premier à tenter un rapprochement entre ce type de plan et la personnalité de saint Bernard, lui-même, rapprochement parfaitement justifié, puisque c’est Achard, maître des novices et architecte de saint Bernard, qui fut envoyé à Himmerod pour en construire l’abbaye. Dès lors, il apparait qu’une telle disposition était, sinon imposée, du moins inspirée, et dans tous les cas approuvée par saint Bernard, d’autant plus que Clairvaux (II), dont il était l’abbé dès sa fondation en 1115, avait également un chevet plat et devait tout naturellement représenter pour l’Ordre, à cette époque, une véritable église-témoin. ».

Cités dans cet extrait, les travaux de l’historien de l’art allemand Karl-Heinz Esser (1912-1999) [9], directeur des Mainzer Museen entre 1952 et 1977, datent des années 1950. En plus de Fontenay en Bourgogne, seconde fille de Clairvaux, et d’Himmerod en Allemagne, on peut citer, dans la filiation claravalliennne, Bonmont en Suisse (vers 1130-40), Eberbach en Allemagne (commencée vers 1140-50), Noirlac dans le Berry (consacrée vers 1150-60) et ainsi de suite (voir plans de Clairvaux II, Bonmont, Fontenay et Hauterive en Annexe 1). Pour l’édification d’une nouvelle église, il n’existe pas d’indication sur le bâtiment à construire, mais l’église doit être adaptée. C’est une logique implacable : facile à mettre en oeuvre du fait de sa simplicité, plus économique, plus en rapport avec le dénuement et l’austérité formelle. Le choix semble seulement lié au bon sens et à la filiation entre établissements. Il est là question du plan, mais on pourrait faire le même genre de comparaison pour l’élévation. Dans tous les cas de figures, la grande sobriété et la simplicité des élévations est de rigueur, qu’elle soit à un niveau, comme à Bonmont, Fontenay et Hauterive (voir Annexe 2a), ou à deux niveaux, comme à Noirlac ou à Fossanova, première communauté cistercienne en Italie, dont l’église est construite entre 1187 et 1206 (voir Annexe 2b).

Quand il y a une surface murale, on ne pense pas à y ajouter une peinture, ce qui est pourtant habituel à l’époque. Même s’il ne s’agit aucunement d’invention ou d’innovation architecturale, ces églises se distinguent de celles construites avant, pendant et après, également en ce qui concerne le décor. En effet, les peintures murales, que l’on peut encore admirer à Hauterive sur la paroi Sud de la première chapelle latérale à gauche du choeur ou sur la face occidentale des troisième et quatrième piliers Sud de la nef, datent du XVe siècle. La fresque figurative sur le mur du bas-côté Sud, correspondant à la quatrième travée orientale, représentant un Portement de la Croix, a été peinte en 1572.

Des premiers temps de l’église, on sait que la décoration consistait uniquement à marquer les joints en les simulant à la truelle et pour accentuer certaines parties de l’architecture. Au XIIIe siècle, on a recouvert ce décor primitif d’une couche de peinture rouge brique (ce qui assombrit davantage l’église), avec de faux joints blancs, simulant l’appareillage des murs. Actuellement, on peut encore les voir, par exemple sur les parties inférieures des murs du choeur ainsi que sur les murs et la voûte de la première chapelle à gauche du choeur. Pour le parement, rien de particulier, sinon une fois de plus, quelque chose d’extrêmement sobre, à savoir un dallage de pierre avec une petite déclivité d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Quant aux tombeaux, les réserves relatives aux sépultures dans l’enceinte de l’abbaye sont levées très tôt à Hauterive, à savoir en 1182, comme nous l’avons déjà dit plus haut. Parmi ces tombeaux, se trouve, dans le bas-côté Nord de l’église, la dalle funéraire du seigneur Ulrich de Treyvaux, mort vers 1350. Une autre dalle remarquable, celle de l’abbé Pierre d’Affry, mort en 1449, est fixée au mur de la chapelle de Saint-Nicolas, édifiée entre le début du XIVe et le XVIe siècle contre la partie orientale du bras Nord du transept. Catherine Waeber-Antiglio dit de cette dalle [10] : « Témoignant d’une richesse décorative typique pour le XVe siècle, cette pierre tombale se conforme néanmoins encore aux prescriptions cisterciennes des débuts de l’Ordre. La technique de la pierre gravée était en effet la seule à pouvoir répondre aux exigences du Chapitre Général de 1194 qui demandaient que les dalles funéraires posées sur les caveaux ne dépassent pas le niveau du sol des galeries des cloitres afin de ne pas gêner le passage. ». On évite toujours le superflu, comme le demande Bernard.

3ème partie : Le regard de Bernard de Clairvaux

1/ sur le bâti

En ce qui concerne l’ensemble de l’église d’Hauterive, il est temps de se demander si on est resté tout aussi fidèle aux prescriptions détaillées dans les écrits de Bernard de Clairvaux. Pour ce faire, il est bon de rappeler l’Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, qu’il écrit en 1125, et particulièrement les paragraphes 28 et 29 du chapitre XII [11], intitulé ainsi : « Saint Bernard blâme le luxe déployé dans les églises et dans les oratoires, la somptuosité avec laquelle on les construit, et l’abus qu’on y fait de peintures et de décorations ».

Dans le paragraphe 28, Bernard se préoccupe du bâti avec une verve qui lui est toute particulière, en s’attaquant aux dérives des clunisiens sans jamais les citer :

« 28. Mais tout cela n’est rien encore ; parlons maintenant d’abus bien plus grands qui ne semblent moindres que parce qu’ils sont les plus fréquents. Sans parler de l’immense élévation de vos oratoires, de leur longueur démesurée, de leur largeur excessive, de leur somptueuse décoration et de leurs curieuses peintures, dont l’effet est de détourner sur elles l’attention des fidèles et de diminuer le recueillement, et qui me rappellent en quelque sorte les rites des Juifs, car je veux bien croire qu’on ne se propose en tout cela que la gloire de Dieu ; je me contenterai, en m’adressant à des religieux comme moi, de leur tenir le même langage qu’un païen faisait entendre à des païens tels que lui. A quoi bon, disait-il, ô Pontifes, cet or dans le sanctuaire (Pers., sat., II) ? A quoi bon, vous dirai-je aussi, en ne changeant que le vers et non la pensée du poète, à quoi bon, chez des pauvres comme vous, si toutefois vous êtes de vrais pauvres, cet or qui brille dans vos sanctuaires ? On ne peut certainement pas raisonner sur ce sujet de la même manière pour les moines que pour les évêques. Ceux-ci, en effet, étant redevables aux insensés comme aux sages, doivent recourir à des ornements matériels, pour porter à la dévotion un peuple charnel sur lequel les choses spirituelles ont peu de prise. Mais nous qui nous sommes séparés du peuple, qui avons renoncé, pour Jésus-Christ, à tout ce qui est brillant et précieux, qui regardons comme du fumier, afin de gagner Jésus-Christ, tout ce qui charme par son éclat, séduit par son harmonie, enivre par son parfum, flatte par son goût exquis, plaît par sa douceur, enfin tout ce qui fait plaisir aux sens, de qui voulons-nous exciter la piété par tous ces moyens, je vous le demande ? Quel fruit prétendons-nous en tirer ? Est-ce l’admiration des sots ou les offrandes des simples ? Parce que nous vivons au milieu des nations, avons-nous appris à les imiter dans leurs oeuvres et partageons-nous leur culte pour tous ces objets sculptés (Ps. CV, 34) ? »


Bernard distingue ce que font les évêques dans les cathédrales de ce que doivent faire les moines. Selon la règle de saint Benoit, un moine doit prier, étudier et travailler. La vie de chaque jour doit être rythmée par ces trois activités, depuis les Vigiles à 4h15 jusqu’aux Complies à 19h50, au total sept célébrations par jour, plus une messe. Pas beaucoup de temps pour faire autre chose ! Pire encore : la journée, pourtant longue, ne suffit pas à ces trois tâches, d’où le recours aux frères convers, qui sont essentiellement chargés des travaux manuels. Nul besoin d’un grand espace, puisque l’église ne doit servir qu’aux moines et aux convers et n’accueille aucun laïc ! Nul besoin de hauteur et de lumière, puisque la prière est un voyage intérieur. En cela, les cisterciens suivent scrupuleusement les idées émises par Augustin d’Hippone (354-430) dans son récit autobiographique « Les Confessions », écrit entre 397 et 401, que l’on peut résumer ainsi : Dieu est en moi. Puisque Dieu est en chacun de nous, il s’agit pour chaque moine de faire le maximum pour trouver Dieu en lui-même. Pour le soutenir dans cette tâche, il faut éviter toute distraction, d’où cet incroyable sentiment d’entrer dans une caverne platonicienne, lorsque l’on pénètre dans l’église d’Hauterive. C’est d’autant plus saisissant que les lumières sont généralement éteintes, car elles sont uniquement et parcimonieusement allumées au début et scrupuleusement éteintes à la fin de chaque célébration. Cette impression de se retrouver dans une grotte amène tout naturellement le visiteur à se taire, sinon à parler à voix basse et l’encourage à la méditation. On peut donc dire que les injonctions de Bernard de Clairvaux ont été bien suivies et respectées, du moins en ce qui concerne le bâtiment, comme le confirme Catherine Waeber [12] : « Quant au système pseudo-basilical de l’élévation, il est intéressant de noter combien il correspond aux principes esthétiques cisterciens : pas d’effets violents de lumière et par conséquent pas de complexe instrumentation ni à l’intérieur ni à l’extérieur de l’église, saint Bernard ayant été clairement opposé à toutes choses de nature à attirer les regards et à entraver la dévotion. »


Même en ce qui concerne le clocher, Hauterive suit les directives du Chapitre Général de 1157, qui statue dans un premier temps que les clochers ne doivent pas être construits en pierre et ne peuvent être pourvus que d’une seule cloche, ne dépassant pas 500 livres, afin qu’une seule personne puisse l’actionner. C’est le cas à Hauterive où le petit campanile en bois a été reconstruit ensuite en pierre, dans des dimensions modestes. Avant chaque temps de prière, un moine vient tirer sur l’une ou deux des cordes qui pendent depuis le clocher à travers la voûte en berceau du choeur liturgique. Ensuite, il vient ouvrir la grille ouvragée, datant du XVIIe siècle, qui ferme le choeur des moines,- le jubé des origines séparant l’église en deux parties égales ayant disparu, et referme systématiquement cette grille, avant d’éteindre toutes les lumières. Ce rituel n’est pas seulement symbolique, il est aussi nécessaire pour rythmer le passage entre les différents temps spirituels et temporels.

2/ sur les décors

Qu’en est-il des vitraux, des peintures et du mobilier liturgique, que l’on peut découvrir une fois les lumières allumées ? Dans le paragraphe 29 cité ci-dessous (Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, Chapitre XII), Bernard s’en prend plus particulièrement aux décors :

« 29. Mais que signifient dans vos cloîtres, là où les religieux font leurs lectures, ces monstres ridicules, ces horribles beautés et ces belles horreurs ? A quoi bon, dans ces endroits, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures chimériques, ces monstres demi-hommes, ces tigres bariolés, ces soldats qui combattent et ces chasseurs qui donnent du cor ? Ici on y voit une seule tête pour plusieurs corps ou un seul corps pour plusieurs têtes : là c’est un quadrupède ayant une queue de serpent et plus loin c’est un poisson avec une tête de quadrupède. Tantôt on voit un monstre qui est cheval par devant et chèvre par derrière, ou qui a la tête d’un animal à cornes et le derrière d’un cheval. Enfin le nombre de ces représentations est si grand et la diversité si charmante et si variée qu’on préfère regarder ces marbres que lire dans des manuscrits, et passer le jour à les admirer qu’à méditer la loi de Dieu. Grand Dieu ! si on n’a pas de honte de pareilles frivolités, on devrait au moins regretter ce qu’elles coûtent. ».


En relisant ces quelques lignes, on peut s’étonner de pouvoir admirer notamment ces magnifiques stalles, qui ont dû coûter fort cher et ce d’autant plus qu’elles ont remplacé des stalles pré-existantes. Lors d’une conférence en 2015 à Grangeneuve, Ernst Trempp, auteur de l’édition critique en 1980 du Liber donationum Altaeripae, en parle en ces termes [13] : « Ces stalles comptent parmi les plus belles de Suisse romande ; admirées par les amateurs d’art, elles auraient cependant été un scandale aux yeux des fondateurs de l’Ordre de Cîteaux au 12e siècle… ». Il est vrai qu’elles datent de la fin du XVe siècle, comme c’est le cas de la plupart des peintures murales. En effet, dans les statuts du Chapitre Général ou Statuta N° 20 du milieu du XIIe siècle, il est stipulé : « Nous interdisons que l’on fasse des sculptures ou des peintures dans nos églises ou dans les autres lieux du monastère, parce que, pendant qu’on les regarde, on néglige le plus souvent l’utilité d’une bonne méditation et la discipline de la gravité religieuse. ». Le chapitre XXVI du Chapitre Général de 1151-1152 réitère l’interdiction absolue d’avoir des sculptures et les peintures ne sont permises que sur les croix, qui elles-mêmes ne peuvent être qu’en bois. Toutes ces injonctions semblent donc avoir été oubliées au cours des siècles suivants, notamment au XVe siècle en ce qui concerne l’église d’Hauterive. Dans sa thèse, Romain Pittet [14]revient d’ailleurs sur les contacts difficiles entre l’abbaye d’Hauterive et la direction de l’Ordre, mais il n’est pas question d’infrastructure.

 


Conclusion

De toutes ces interrogations sur l’architecture extérieure et intérieure de l’église abbatiale d’Hauterive, seconde construction bâtie entre 1150 et 1160, on peut retenir que l’abbaye, fondée entre 1131 et 1138, fait partie des premières fondations de la filiation claravallienne. Abbaye-fille de Cherlieu, elle-même abbaye-fille de Clairvaux, Hauterive est sous l’influence directe de Bernard, fondateur de Clairvaux. On sait que celui-ci s’est rendu par deux fois à Lausanne, en 1135 et en 1148, mais il n’y a aucune trace d’une visite à Hauterive même. Cependant, on peut se rendre à l’évidence, par une étude comparative, que l’église romane d’Hauterive suit le fameux « plan bernardin » en croix latine, avec son chevet plat, ses chapelles alignées côté Est sur le mur droit des bras du transept, sa nef à trois vaisseaux… comme ses soeurs de Bonmont et Fontenay sur l’exemple de Clairvaux II. On retrouve la même sobriété dans l’élévation de ces différents édifices. A-t’on profité du décès de Bernard en 1153 pour s’éloigner petit à petit de ses véhémentes recommandations relevées dans ses traités et sermons, notamment la fameuse « Apologie à Guillaume de Saint-Thierry » de 1125 ? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il que dès 1182, on permet aux bienfaiteurs laïcs d’être enterrés dans le cimetière de l’abbaye. Puis, au XIIIe siècle, on restaure la façade, qui devient gothique. Il en va de même du choeur au XIVe siècle. Mais, il faudra attendre le début du XVe siècle pour voir se développer des peintures murales. Quant aux stalles, elles sont magnifiquement remplacées à grand frais à la fin du XVe siècle.


Par conséquent, on peut conclure que les prescriptions de Bernard de Clairvaux ont été amplement suivies pour l’édification de l’église abbatiale d’Hauterive, mais qu’au fil du temps, elles ont été moins respectées au cours des campagnes de construction ultérieures, des diverses restaurations et des aménagements intérieurs. C’est ce qui a provoqué de virulentes polémiques au sein des Chapitres Généraux de l’Ordre et menacé de destitution maints abbés.

Pourtant, l’église romane est encore bien là, avec son ambiance cistercienne si particulière, sa sombritude qui n’a rien de sombre, au contraire. Comme on n’a plus rénové les lieux depuis la campagne de l’architecte Broillet [15]en 1913, il est question de récolter des fonds pour une nouvelle rénovation. Que sera l’église d’Hauterive du XXIe siècle ? On peut espérer qu’elle fera toujours vibrer le fidèle, tel Barbara Monteiro [16] : « Ils sont d’une beauté indiscible les moines en aube blanche, dans l’église obscure, éclairée par la seule lueur des bougies, inexprimablement doux est le chant intérieur, inexprimablement tendre le silence qui suit dans l’église vide… En fait, Hauterive ne se laisse pas décrire - on doit se laisser toucher, on doit le vivre. »

 


Bibliographie

 

BROILLET Frédéric, Restauration de l’église et du cloitre d’Hauterive, in « Annales fribourgeoises », 1, 1913, p. 77-78.



ESSER Karl-Heinz, Über den Kirchenbau des hl. Bernhard von Clairvaux, eine kunstwissenschaftliche Untersuchung auf Grund der Ausgrabung der romanischen Abteikirche Himmerod, Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, V, 1953.



JOOS Paul (photos), ALTERMATT Albéric Martin (Père), BUMAN Dominique (de), CARREL Thierry, COUETTE Henri-Marie (Père), LEPORI Mauro-Giuseppe (Père), LUSSI Jean-Marie (Père), MONTEIRO Barbara et WAEBER Catherine (textes), Vivre au monastère, Hauterive, trad. de l’allemand par WIGET-PILLER Anne-Véronique, Fribourg, Ed. La Sarine, 2006 (éd. orig. Leben im Kloster Hauterive, Fribourg, Ed. Saint-Paul, 2006).

PITTET Romain, L’abbaye d’Hauterive au Moyen-Âge, thèse présentée à la Faculté des Lettres, Université de Fribourg, 1934 (Archives de la Société d’Histoire du canton de Fribourg, Tome XIII). 


TREMP Ernst, Les moines blancs en Nuithonie. Le rôle économique et religieux de l’abbaye d’Hauterive au Moyen-Âge, Grangeneuve, 2015. 


VAUCHEZ André et CABY Cécile, dir., L’histoire des moines, chanoines et religieux au Moyen- Âge. Guide de recherche et documents, Brepols, Turnhout, 2003 (Coll. « L’atelier du médiéviste », N° 9).

WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), éd. LADNER Pascal, PFAFF Carl et SCHMID Alfred A., Fribourg, Institut des Etudes Médiévales de l’Université de Fribourg, Les Editions universitaires, 1976.

WAEBER Catherine, L’abbaye cistercienne d’Hauterive, Fribourg (Suisse), Guides de monuments suisses, SHAS.

 


Sitographie

 

Abbaye d’Hauterive : http://www.abbaye-hauterive.ch/la-communaute



ARCCIS (Association pour le Rayonnement de la Culture CIStercienne) : http://www.arccis.org

Charte européenne des abbayes et sites cisterciens : http://www.cister.net

Ordre cistercien, site officiel http://www.ocist.org/ocist/fr/

Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_cistercien

 


Source

 

Liber donationum Altaeripae. Cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Hauterive (XIIe-XIIIe siècles), Ed. critique par TREMP Ernst, 1980, trad. de l’allemand par BISSEGER-GARIN Isabelle, Lausanne, Société d’histoire de la Suisse romande, 1984 (Coll. « Mémoires et Documents », Troisième série, Tome XV).

 


Annexes

 

1. Le « plan bernardin » : plan de l’église d’Hauterive, comparé aux plans des églises de Clairvaux II, de Fontenay et de Bonmont (extraits de l’ouvrage de WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), p.68 et 69). 


2. Illustrations : 

- a) l’élévation des églises d’Hauterive, de Fontenay, de Bonmont (un seul niveau)

- b) l’élévation des églises de Fossanova et Noirlac (deux niveaux)


 


Notes

 


[1« Carta Caritatis » : bref document latin du XIIe siècle, fondateur de l’ordre de Cîteaux, qui définit l’organisation interne et la forme de gouvernement que l’Ordre cistercien s’est donné. Ce texte constitutionnel est encore au XXIe siècle le document de référence pour l’organisation de l’Ordre cistercien. Elle ne remplace pas la règle de saint Benoît.

[3« La lettre à Robert », adressée par Bernard de Clairvaux en 1124-25 à son cousin Robert de Châtillon, moine à Clairvaux, dans laquelle il se plaint qu’en son absence, son cousin ait été incité par le grand prieur de Cluny à rejoindre Cluny.

[4PITTET Romain, L’abbaye d’Hauterive au Moyen-Âge, 1934, p.10.

[5WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), 1976, p.17-18.

[6BROILLET Frédéric, Restauration de l’église et du cloitre d’Hauterive, in « Annales fribourgeoises », 1, 1913, p. 77-78.

[7WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), 1976, p.31.

[8WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), 1976, p.64, 5.1.

[9ESSER Karl-Heinz, Über den Kirchenbau des hl. Bernhard von Clairvaux, eine kunstwissenschaftliche Untersuchung auf Grund der Ausgrabung der romanischen Abteikirche Himmerod, Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, V, 1953, p.195-222.

[10WAEBER-ANTIGLIO Catherine, Hauterive. La construction d’une abbaye cistercienne au Moyen Âge (Scrinium friburgense), 1976, p.214.

[12WAEBER Catherine, L’abbaye cistercienne d’Hauterive, Guides de monuments suisses, p.19.

[13TREMP Ernst, Les moines blancs en Nuithonie. Le rôle économique et religieux de l’abbaye d’Hauterive au Moyen-Âge, Grangeneuve, 2015.

[14PITTET Romain, L’abbaye d’Hauterive au Moyen-Âge, 1934, p.244-254.

[15BROILLET Frédéric, Restauration de l’église et du cloitre d’Hauterive, 1913.

[16JOOS Paul (photos), BUMAN Dominique (de) et al.,Vivre au monastère, Hauterive, 2006, P.10.

 

Mots-Clefs
Auteurs :
Louys Béatrice,
Moyen-âge :
Cistercien, Etablissement monastique au Moyen Âge, Histoire cistercienne, Ordre cistercien, « Carta Caritatis » : bref document latin du XIIe siècle, fondateur de l’ordre de Cîteaux, « plan bernardin »,
Villes / lieux :
Abbaye de Cherlieu, Abbaye de Wettingen-Mehrerau , Abbaye d’Hauterive, Eglise abbatiale d’Hauterive, Fribourg (Suisse), Guerre du Sonderbund, Hauterive / Alta ripa,
Auteurs de citations :
Barbara Monteiro, Bernard de Clairvaux, Catherine Waeber-Antiglio, Ernst Trempp, Romain Pittet,

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